Journal de bord I - Du rêve à la réalité
Quand j'étais enfant, j'ai eu le privilège de faire partie d'un groupe dont les membres étaient nombreux : Les enfants de divorcés. J'avais donc le plaisir tout particulier de ne voir mon père qu'un week end sur deux. En ce temps, et malgré les efforts de mon paternel, j'avais tendance à m'ennuyer lors de ces visites. Bien qu'il eut adapté son appartement pour nous recevoir, ma sœur et moi, dans les meilleures conditions possibles, je peinais à y trouver une occupation.
A l'époque du magnétoscope, mon père aimait nous emmener au vidéo club du quartier dans le but de passer une bonne soirée en famille. Mais c'est dans un coin de son étagère que j'ai trouvé la cassette qui allait éveiller en moi pour la première fois une passion qui me poursuivrait toute ma vie : "Big Boss", le premier film de Bruce Lee. Je ne saurais dire pour quelle raison obscure mon père avait acheté ce film. Il n'aimait pas particulièrement les arts martiaux. Toujours est-il que je glissais l'objet dans le magnétoscope, et que je découvrais émerveillé le petit dragon.
Malheureusement, je souffrais d'une qualité qui, dans ce contexte, devint un défaut. J'étais un incorrigible rêveur. Et plutôt que de courir m'inscrire au dojo le plus proche, je préférais m'imaginer à la place des héros de mes films d'actions et de mes BD. Pendant un temps, cela fut agréable. Mais c'est lorsque plus tard je fus confronté à des brutes au collège que je compris que le gamin timide, discret et relativement chétif que j'étais devait passer à la vitesse supérieure. Mauvaise nouvelle : Je vivais dans un petit patelin et le seul club d'arts martiaux dans les environs enseignait l'aikido, un art au demeurant magnifique et pour lequel j'ai une grande affection, mais qui n'allait pas me servir à me défendre face aux voyous qui me harcelaient.
La fin du collège marqua la fin de mon besoin d'apprendre à me défendre. Je cessais donc l'entraînement et retournais à mes rêves. D'une part par facilité, car je ne remarquais pas suffisamment de progrès. Mais aussi par contrainte, car aller au lycée et en revenir demandait une heure de bus par jour, et il était difficile de concilier les devoirs et le dojo. Les années passèrent, et une fois mon bac en poche, j'avais oublié les arts martiaux. J'allais par la suite d'échecs en échecs, peinant à trouver ma voie dans le monde professionnel. En effet, j'étais peu enclin à l'acceptation du monde dans lequel je vivais. La France, et ce qu'elle avait à me proposer, me paraissait fade et inintéressant.
Puis arriva le film Ip Man, de Wilson Yip, qui eu l'effet d'une bombe dans mon esprit. Au visionnage, l'enfant qui s'était ébahi devant Bruce Lee se réveilla en moi. Je retrouvais cette sensation, ce besoin d'en savoir plus, de comprendre cet art, d'imiter ces gestes. Ce film agit comme un lance pierre. Il m'envoya à toute vitesse m'inscrire dans un club de wing chun. Et là, ce fut l'épiphanie. Je retrouvais le moral, le goût de l'effort, un dynamisme psychologique... Ma voie était trouvée. Je rencontrais mon père à qui j'exposais mon envie, mon projet, et c'est avec un scepticisme non dissimulé qu'il me répondit : D'accord.
Peu de temps après, je montais dans l'avion, le cœur serré et la peur au ventre. Malgré cela, la joie qui m'habitait était celle d'un guerrier partant au combat. L'enfant en moi arborait un sourire jusqu'aux oreilles. Je venais de passer du rêve à la réalité.